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mardi 26 février 2013

Une mascarade dans la salle aux médaillons du château de Binche, le 28 août 1549

Un des passages les plus prisés de l'histoire de Binche est celui des fêtes données par Marie de Hongrie à son frère, Charles-Quint : les fameux "Triomphes de Binche" ! Ces fêtes eurent lieu à Binche, au chateau construit par Marie de Hongrie sur les terres reçues de son illustre parent ainsi qu'en son pavillon de Mariemont.

En guise d'introduction au contexte, Etienne Piret, dans un article publié pour le compte de l'ASBL Binche 1549 nous relate les événements :
"En cet an de grâce 1549, Sa Majesté l'Empereur Charles Quint présenta son fils, l'Infant Philippe d'Espagne, aux riches Pays-Bas qu'il comptait lui léguer. La cour s'installa à Bruxelles auprès de la soeur de Sa Majesté, Marie de Hongrie, Gouvernante des Pays-Bas. Au cours des réjouissances bruxelloise, un Chevalier errant se présenta à l'Empereur et lui remit une requête exposant les souffrances des populations autour de Binche opprimées par le nécromancien Norabroc. Ceci était une invitation aux grandes fêtes que la Gouvernante Marie de Hongrie comptait organiser dans son palais de Binche, si beau qu'il faisait honte aux sept merveilles de l'Antiquité. Le cortège impérial entra à Binche le 22 août 1549 à la lueur des flambeaux et fut accueilli par la Reine Marie et sa soeur Eléonore, veuve des Rois de Portugal et de France. Le 23 août fut jour de repos. La journée du 24 août débuta par un combat dans la cour du château où s'affrontèrent les plus grands seigneurs des Pays-Bas. De nombreux intermèdes divertirent la cour, on lachâ des lapins et des chats, ce qui excita les chiens tenus par des valets; des pélerins jouant de la musique, des hommes sauvages et d'autres déguisés en serpents crachant du feu amusèrent les spectateurs. La journée se termina par un souper où la Reine Fadale demanda à la cour de venir combattre Norabroc pour faire cesser ses maléfices. Dès le lendemain soir, les nobles seigneurs durent affronter trois obstacles: "le pas fortuné" où attendait le chevalier du Griffon Rouge, "la tour périlleuse" gardée par le chevalier de l'Aigle Noir, le chevalier au Lion d'Or qui bloquait l'accès à "l'île heureuse". Les combats continuèrent le lundi 26 août où le Prince d'Espagne surmonta toutes les épreuves. Un festin clôtura la soirée. La cour se reposa jusqu'au bal du 28 août. Quatre chevaliers et quatre dames y dansèrent une allemande mais quatre autres seigneurs vinrent chercher les dames. Les huits chevaliers se battirent mais des hommes sauvages et feuillus apparurent et combattirent les gentils-hommes tandis que d'autres enlevaient les dames. Le 29 août fut consacré à la délivrance des prisonnières enfermées dans un château construit à proximité du pavillon de chasse de Mariemont édifié pour la Gouvernante Marie à quelques lieues de Binche. Les convives festoyèrent en admirant les combats qui virent la libération des dames. On finit la journée par un bal masqué au palais de Binche. Le 30 août, un tournoi eu lieu sur la place de la ville, puis les courtisans assistèrent à un festin qui se termina par le spectacle de la Salle Enchantée où les tables, couvertes de confiseries, descendaient du plafond, figurait le ciel orné des signes du zodiaque, entre quatre colonnes de jaspe. Elles apparaissaient sous un coup de tonnerre, une pluie de dragées et d'eau parfumée pour disparaître, vides, dans le sol. Le 31 août au matin, la cour quitta Binche pour Mons. Il restera de ses fêtes le fameux proverbe espagnol repris par Brantôme "Mas bravas que las fiestas de Bains", "Plus magnifique que les fêtes de Binche.", Etienne Piret, avec son aimable accord.

Il existe peu de dessins illustrant ce qui se passa à Binche. Il en est cependant deux d'un auteur anonyme que quelques-uns ont essayé d'identifier en tenant compte à la fois du style, de l'époque et de l'adéquation de l'évènement avec la présence possible des artistes potentiels à ces fastes.

Dans ce texte, nous nous consacrons à l'un d'entre-eux que Pierre Dumon, dans son document édité à l'occasion d'Europalia en 1985, "Binche 1549, La joyeuse entrée du sérénissime prince Philippe, futur roi d'Espagne. Témoignage d'un artiste et d'écrivains contemporains", intitule "Une mascarade dans la salle aux médaillons du château de Binche, le 28 août 1549". Un autre texte sera consacré au second dessin, appelé par le même Pierre Dumon "La grande féerie dans la salle enchan- tée du château de Binche, la nuit du 30 au 31 août 1549".

La "Mascarade" ci-dessous présentée est un dessin à l'encre à la plume et au lavis brun, obtenu par dissolution d'encre dans l'eau habituellement étalé au pinceau. Les détails sont rehaussés de couleurs et d'or.

"Une mascarade dans la salle aux médaillons du château de Binche,
le 28 août 1549"
Photo de l'oeuvre par JoJan - artwork by anonymous [Public domain],
via Wikimedia Commons

Dans un article du "Journal of the Warburg and Courtauld Institute" datant de 1939-1940, Albert Van de Put, de la National Art Library de Londres, a démontré que le dessin ci-dessous représente la soirée du 28 août 1549. Pour ce faire il s'est appuyé sur la relation des fêtes par Juan Cristóval Calvete de Estrella publié à Anvers en 1552 dans un livre intitulé "El felicissimo viaje d'el muy alto muy poderoso Principe don Phelippe, hijo d'el Emperador don Carlos Quinto Maximo, desde España à sus tierras dela baxa Alemaña, con la descripcion de todos Estadios de Brabante y Flandes : escrito en quatro libros".

Il a recoupé le texte mentionné avec les éléments du dessin pour en tirer sa conclusion.

Ainsi, comme l'indique le texte de Calvete, une mascarade, au sens simulacre, fut présentée à Charles Quint, son fils Philippe II et ses soeurs Marie de Hongrie et Eléonore d'Autriche, les quatre personnes que l'on distingue à l'arrière plan. Durant la soirée défilèrent une série de scène: une quadrille entre 4 dames et 4 chevaliers; une danse "Allemande"; un combat de chevaliers; et l'intervention de "sauvages" armés et en habits de feuilles. Autant d'éléments que l'on retrouve sur ce dessin.

Au niveau du décor de la salle également des indications relient directement cette scène au palais de Marie de Hongrie à Binche. A savoir par exemple :
  • L'architecture de la pièce de style renaissance est en conformité avec ce que Calvete décrit et qui serait la salle d'apparât du premier étage, appelée également la "Grande Salle d'En Hault", du palais, oeuvre du Montois Jacques du Broeucq 
  • Les peintures au dessus des fenêtres pourraient correspondre à deux des trois oeuvres que le Titien avait peintes pour Marie de Hongrie et qui se situaient effectivement en son château de Binche. Il s'agirait des Supplices de personnages de la mythologie grecque : "Tityos" et "Sisyphe". Le troisième non visible sur le dessin serait "Tantale". Nous aurons sans doute l'occasion d'y revenir.
Dans le même journal pré-cité, à la suite de l'article d'Albert Van de Put, Arthur Ewart Popham, historien de l'art spécialisé dans l'art italien, tente d'identifier l'auteur de ce dessin. Il avance divers noms d'artistes contemporains des Triomphes, proches de la Cour de Charles Quint et de Marie de Hongrie qui auraient pu assister à la soirée illustrée pour en détailler aussi finement les scènes. Malgré les pistes suivies, il n'y a malheureusement aucune conclusion permettant d'identifier avec certitude l'auteur. Il s'est ainsi penché sur ces artistes :

  • Michel Coxcie, qui a été payé pour la réalisation de peintures du chateau de Binche. Il était régulièrement en charge de peintures pour la Cour de Charles Quint et fût même nommé peintre de la Cour par Philippe II. On le surnomma le "Raphaël flamand". Il a été écarté par rapport aux différences de son style.
  • Jan Cornelisz Vermeyen, peintre à la cour de Charles Quint et de Marie de Hongrie pour laquelle il aurait réalisé plusieurs tapisseries. Il n'a pas été retenu à cause des divergences de style.
  • Nicolas Hogenberg, attaché à la Cour de Marguerite d'Autriche, mais qui était décédé à l'époque des Fêtes de Binche. Il n'a donc pu être l'auteur du dessin.
  • Frans Hogenberg, est un graveur sur cuivre et aquafortiste flamand. Il est le fils de Nicolas et aurait pû comme son père, être proche de la famille impériale. Mais il ne s'agit qu'une vague supposition. 
  • Robert Peril, graveur, a eu le droit de dessiner quelques xylographes pour l'Empereur quelques années auparavant. Mais rien ne permet de le relier aux Triomphes de Binche.
  • Pieter Coecke van Aelst, peintre de la cour de Charles Quint. Rien n'interdit formellement de l'écarter. Mais rien non plus ne permet d'affirmer avec certitude qu'il est l'auteur du dessin étudié.

D'après Samuel Glotz, citant Pierre Dumon, il est tout aussi probable que l'oeuvre ait été celle d'un collaborateur de Jacques du Broeucq.

Ce dessin est actuellement à la Bibliothèque Royale de Belgique à Bruxelles.

Sources :
  • Calvete de Estrella, Juan Cristóbal. 1552. "Fiestas de Bins, hechas por la Serenissima Reyna Maria de Ungria". In El felicissimo viaje d'el muy alto muy poderoso Principe don Phelippe, hijo d'el Emperador don Carlos Quinto Maximo, desde España à sus tierras dela baxa Alemaña, con la descripcion de todos Estadios de Brabante y Flandes : escrito en quatro libros, p. 182-205, Anvers. En ligne. http://bibliotecadigital.jcyl.es/i18n/consulta/registro.cmd?id=4546 (page consultée le 25 février 2013)
  • Van de Put, Albert. 1939-1940, "Two Drawings of the Fêtes at Binche for Charles V and Philip (II) 1549". Journal of the Warburg and Courtauld Institues, Volume Three, pp. 49-55. London: The Warburg Institute. En ligne. http://www.jstor.org/stable/750190 (page consultée le 23 février 2013)
  • Popham, Arthur Ewart. 1939-1940, "The Authorship of the Drawings of Binche". Journal of the Warburg and Courtauld Institues, Volume Three, pp. 55-57. En ligne. http://www.jstor.org/stable/750191 (page consultée le 23 février 2013)
  • Piret, Etienne, aux alentours de 2000, article tiré d'un dépliant des Triomphes de Binche édité par l'ASBL Binche 1549. 
  • Glotz, Samuel. 1995. "De Marie de Hongrie aux Gilles de Binche. Une double réalité, historique et mythique". Les Cahiers Binchois. Revue de la Société d'Archéologie et des Amis du Musée de Binche, n°13. En ligne. http://hainaut.mariemont.museum/Upload_Mariemont/Images_Docs/CDH/ELB-MRM-C833_13.pdf (consulté le 20 février 2013)
  • Dumon, Pierre. 1985. "Binche 1549, La joyeuse entrée du sérénissime prince Philippe, futur roi d'Espagne. Témoignage d'un artiste et d'écrivains contemporains", Europalia Bruxelles.

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